vendredi 5 septembre 2014

Histoire de l'architecture : Régime français

Le corps de logis double

Au début du XVIIIe siècle, les Français introduisent au Québec l'usage du corps de logis doublé, construction plus profonde où les pièces ouvertes sur l'avant («côté cour») sont séparées par un mur de refends des pièces qui s'ouvrent sur l'arrière («côté jardin»). C'est alors que le type «palais» déclasse définitivement le type «château», parce qu'il s'adapte aisément au doublement du corps de logis. Le premier édifice qui témoigne de ce nouvel art de vivre est le palais de l'intendant que conçoit l'ingénieur La Guer Morville, en 1713 : autour d'une vaste salle implantée au centre, qui accueille les délibérations du Conseil souverain, se déploient l'appartement de l'intendant, au nord, et celui de son épouse, qui fait miroir au sud.


Le magnifique château que Ramezay a construit en 1704-1705 
est aujourd'hui un lieu historique de Montréal  (Bibliothèque nationale de Québec).

Cette convention, qui veut que les époux de rang noble ne cohabitent pas dans le même appartement, explique que le palais épiscopal et le château Saint-Louis de Frontenac, construits pour des célibataires, soient restés à demi inachevés.

Quoique l'habitat multifamilial et la promiscuité ne changent pas tout au long du Régime français (il faut attendre l'usage britannique pour qu'apparaisse l'habitat unifamilial), le doublement du corps de logis a un impact considérable sur l'architecture domestique et sur le paysage construit. À partir de 1720, la plupart des maisons en milieu urbain sont bâties plus profondes, puisqu'elles contiennent deux rangées de pièces adossées, ce qui facilite évidemment la modification des unités salle-chambre en unités d'appartements, plus vastes.

On voit apparaître des cuisines à côté des salles, et des antichambres, des cabinets et des garde-robes, autour de la chambre. Plusieurs bâtiments existants sont reconstruits et pour être doublés, au vu de telles dispositions : c'est le cas du château de Ramezay, à Montréal, en 1756, de la Grande Maison des forges du Saint-Maurice, en 1737 et du manoir de Boucherville, après la Conquête.

Le mobilier

Dans les palais et dans les hôtels particuliers de la Nouvelle-France, les meubles sont de qualité, mais peu variés ; pour les bourgeois et artisans du XVIIe siècle, le mobilier est une chose rare, limitée à des coffres, des tabourets, plusieurs paillasses et un lit par maisonnée. La typologie se diversifie au XVIIIe siècle, avec l'expansion des unités d'habitations ; mais au lieu d'œuvres sculptées d'ébénistes et de meubliers, comme on en trouve en métropole, ce sont alors des menuisiers qui assemblent en panneaux et moulures les armoires, les chaises, les tables et les autres meubles témoignant de la spécialisation de l'habitat. C'est dire que les Château Ramezay meubles qui datent du Régime français sont rares, d'autant plus que ceux qui étaient importés de France, à défaut d'une tradition d'ébénisterie locale, y sont retournés avec leurs propriétaires au lendemain de la Conquête. L'essentiel du mobilier dit « traditionnel » appartient à la seconde moitié du XVIIIe et au début du XIXe siècle, quand les conditions économiques plus favorables et l'évolution de l'art d'habiter offriront aux Canadiens de vivre dans des maisons plus confortables. 

Saint-Maurice, Forges
L'édifice principal des Forges Saint-Maurice, construit vers 1735
(photo de Luc Noppen).

Églises et clochers

La présence de l'Église, au départ justifiée par l'œuvre missionnaire dans le Nouveau Monde, s'affirme rapidement dans les établissements européens par un ambitieux programme de construction. Les premiers, les jésuites entreprennent en 1647 la construction de l'église Notre-Dame-de-la-Paix, à Québec : il s'agit d'une structure de pierre simple, dont le plan en croix latine, l'abside semi-circulaire « orientée » (tournée vers l'est, comme le veut la tradition chrétienne), les chapelles latérales au niveau du transept, le petit clocheton de la croisée se conforment aux usages métropolitains. C'est ce pendant surtout après 1664 que l'architecture religieuse connaît un essor prodigieux, en nombre et en qualité, dans l'immense diocèse nouveau confié au premier évêque, François de LAVAL. Celui-ci encourage la construction de vastes églises dans les villes en expansion et des lieux de culte plus modestes, mais néanmoins en pierre, dans les premières paroisses qu'il érige en milieu rural.

Notre-Dame-de-la-Paix, église
Ville de Québec. L'église telle que conçue en 1684 (à gauche) 
et telle que construite (à droite) en 1697 (dessins de Pierre d'Anjou).


En quarante ans, plusieurs édifices religieux majeurs ont été construits à Québec et à Montréal, quoique souvent victimes des avatars typiques des chantiers du Régime français. En 1666, ce sont à nouveau les jésuites qui, évincés de la paroisse Notre-Dame, érigent une nouvelle église attenante à leur collège, juste en face ; le plan en croix latine, les deux tourelles d'escalier en façade et la toiture en croupe couverte d'ardoise y sont typiques de l'architecture des jésuites en Europe. 

En réponse à l'affront, l'évêque ordonne la reconstruction de la petite église de 1647 pour lui conférer une dignité épiscopale - le diocèse a été érigé en 1674 - et l'architecte Claude BAILLIF reçoit le mandat d'ériger une vaste cathédrale dont la façade serait dominée par deux hautes tours. Le chantier débute en 1684 mais subit plusieurs interruptions ; l'église reste inachevée. Il en va de même pour le palais épiscopal que se fait construire Mgr de Saint-Vallier, en 1692, par le même Claude Baillif. Le bâtiment prévu n'est réalisé qu'à moitié cependant que la chapelle - qui devait en former le centre - demeure un élément externe, admiré pour ses qualités architecturales : façade en pierre de taille rythmée par des pilastres et des chapiteaux de l'ordre composite, et toiture en forme de carène.

Notre-Dame (Québec), l'église
Les plans sont de Chaussegros de Léry, en 1743 
(Archives nationales de France, photo de Holzapfel).

D'autres édifices apportent ainsi les modèles de l'architecture religieuse de la mère-patrie ; l'église Saint-Antoine des récollets, construite à Québec à partir de 1693, et l'église Notre-Dame de Montréal, commencée en 1672 et péniblement terminée en 1683, qui évoque la figure de l'église des sulpiciens à Paris. 

Ces églises monumentales, aujourd'hui toutes disparues, ont introduit la norme de l'architecture religieuse classique qui avait cours en France au XVIIe siècle. Elles sont devenues de modèles et ont, à leur tour, inspiré des constructions plus modestes qui n'ont retenu des prototypes que les solutions qui paraissaient les mieux adaptées au contexte socio-économique de la Nouvelle-France.
 
En milieu rural, les premières églises reproduisent donc les dispositions fortes simples de Notre-Dame-de-la-Paix, pour ensuite, sous la pression démographique, être agrandies selon le modèle de la cathédrale ; au début du XVIIIe siècle, ce modèle devient la norme dans les paroisses rurales, où la nef allongée et le clocher déporté vers le pignon de façade caractérisent l'image uniforme de l'Église en Nouvelle-France. Les églises du Cap-de-la-Madeleine (1715) et de Saint-Pierre de l'Île-d'Orléans (1717) en sont les exemplaires les plus anciens.

Saint-Pierre, église
La construction de l'église de Saint-Pierre, à l'Île d'Orléans, 
débute en 1717 (photo de Luc Noppen).

Les autres grands modèles urbains ont aussi un impact ; les églises des récollets de Québec et de Montréal connaissent une large descendance, en raison de leur vaste nef et de leur plan simple, facile à construire. À Saint-Jean (1732) et Saint-François (1734) de l'Île-d'Orléans tout comme au Sault-au-Récollet (1749), sur l'île de Montréal, cette influence est toujours bien observable. Semblablement, l'église de la Saint-Famille de l'Île-d'Orléans, construite à partir de 1743, porte la mémoire de l'église des jésuites de Québec dont elle a repris la figure et les dimensions. 

La chapelle de Mgr de Saint-Vallier devient aussi un modèle, diffusé notamment à travers le plan que Jean Maillou en tire pour l'adapter à une commande en milieu rural. Avec son abside en hémicycle, inscrite dans la ligne des murs de la nef, l'église de Saint-Étienne de Beaumont (1726) illustre bien cette figure simple qui a dominé tout au long du XVIIIe siècle. 

Sainte-Famille, église
La construction de l'église Sainte-Famille, à l'Île d'Orléans, 
débute en 1743 (photo de Luc Noppen).

La sobriété qui s'impose à travers cette diffusion des modèles, dans les extérieurs, contraste avec l'éclat des intérieurs composés par les sculpteurs-ornemanistes, richement sculptés et rehaussés de dorures et polychromies. Il faut dire que, de façon générale, les ornements de fer forgé, de plâtre et de bois sont fort populaires au XVIIe siècle ; dans les églises notamment, en prenant pour modèle quelques œuvres importées, comme le baldaquin de l'ancienne chapelle du palais épiscopal et le maître-autel de l'église Sainte-Hélène de Kamouraska, les Noël Levasseur (1680-1740) et Jacques Leblond dit Latour (1671-1715) établissent une solide tradition en sculpture architecturale, qui fleurira tout au long des XVIIIe et XIXe siècles. Le témoin les plus éloquents de cet art est le retable de la chapelle des Ursulines, réalisé à partir de 1730 par Pierre-Noël Levasseur (1690-1770) et son atelier. 

Église, dessin des plans d'une
Plans d'une église dessinés par Jean Maillou, 
v. 1715 (archives du Séminaire de Québec).

Il reste que, à travers la construction des églises de la Nouvelle-France, le recours aux prototypes urbains, autant que les aventures de certains chantiers, évoquent clairement la « canadianisation », qui passe d'abord par de nombreuses réductions par rapport aux modèles originels de la mère-patrie. Devant les retards entraînés sur les chantiers par les difficultés de compléter d'ambitieux programmes architecturaux, l'ingénieur Chaussegros de Léry, là aussi, se distingue en proposant une solution adaptée au contexte colonial : un projet en trois temps, prévoyant qu'on érige d'abord le gros-œuvre (la maçonnerie et la charpente), l'ornementation ne devant être complétée que plus tard, selon les moyens de la paroisse. Bref, la « canadianisation » rend les constructions possibles, même si les projets se limitent de plus en plus à l'édification de la forme essentielle, débarrassée de tous les ornements. 

Chapelle des Ursulines, autel de la
Retable de l'autel principal de la chapelle des Ursulines à Québec, 
réalisé par Pierre-Noël Levasseur, 1730-1735 
(photo de Paul Laliberté du Centre de production multimédia, à l'U. Laval).


Ursulines, couvent des
Le premier couvent des Ursulines est construit en 1642. 
Cette illustration de Joseph Légaré est une vue d'ensemble 
(avec la permission du couvent des Ursulines).

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