jeudi 25 septembre 2014

L’œuvre de Jean Maillou en 1723


NOTRE-DAME-DES-VICTOIRES

Ce n’est qu’en 1723 que Notre-Dame-des-Victoires sera complétée. En effet, le 19 mars, un marché est conclu avec Jean Maillou, architecte et maître-maçon (1), pour la construction du portail (2). L’architecte complète la nef dont il porte la longueur à 72 pieds et il érige un portail sur la ligne de façade ainsi avancée. Le dessin dressé à partir du plan-relevé de Gaspard Chaussegros de Léry indique précisément l’emplacement du nouveau portail par rapport aux travaux précédents (fig. 10).

       L’année suivante, soit en 1724, le sieur Gratis, maître-maçon, reçoit des paiements pour la construction de la chapelle Sainte-Geneviève, dont seul le départ des murs à l’arcade avait été maçonné en 1688 (3). La construction de la chapelle avait été rendue possible grâce à un don de 1 300 livres fait par testament par le sieur Fornel, marchand, habitant à côte de l’église.

       Ce programme s’acheva en 1733 par la construction de la sacristie sur le terrain acquis de François Allaire en 1700, à l’angle des rues Sous-le-Fort et Saint-Geneviève. On avait bien déjà érigé une petite sacristie derrière le chevet en 1707 pour permettre d’utiliser la porte placée à cet endroit (5). D’une part, la porte donnait dans la maison d’un particulier à l’arrière, où une cloison de planches délimitait un couloir vers la petite sacristie, et d’autre part, une seconde porte donnait immédiatement dans le petit bâtiment surélevé, dont la cave fut cédée en location.

       La façade de Jean Maillou et la chapelle Sainte-Geneviève complétèrent donc l’édifice inachevé jusque-là. Plusieurs documents nous présentent l’église ainsi construite. Deux d’entre eux, dont un plan attribuable à Chaussegros de Léry et datant d’avant 1733, nous fait constater l’absence de la sacristie (photo 30). Le second, attaché à un mémoire expédié en France par le bedeau (6), reprend les grandes lignes de l’édifice en donnant des détails sur les dispositions intérieures : il date de 1733 (photo 31). Deux dessins représentent l’ensemble de l’édifice. Le premier est joint au plan de l’ingénieur du roi. Malgré la naïveté du dessin, on reconnait néanmoins quelques éléments intéressants : la présence du clocher sur la croisée et surtout la nouvelle façade de Maillou. Le document le plus important est cependant la gravure du dessin de Short qui présente l’église en ruines, l’année de la Conquête (photo 32). La précision du dessin et l’authenticité, vérifiée par ailleurs, des relevés de l’officier anglais, nous permettent de retenir surtout ce document pour l’analyse de l’édifice qui a existé de 1724 à 1759.

       La façade avancée de quelque 12 pieds conserve un œil-de-bœuf et une porte cintrée. Par contre, le décor en a été considérablement accru (fig. 3). Ainsi, un portail composé de deux pilastres et d’une corniche entoure la porte elle-même. De part et d’autre de ce portail et au-dessus de l’oculus, des niches viennent s’ajouter à l’ornementation. Une petite ouverture carrée pratiquée au haut du pignon élancé doit sans doute permettre la ventilation des combles. En avant de la façade ainsi ornée, un large escalier aboutit au perron. Si, pour la façade, le document laissé par Short est extrêmement intéressant, il l’est moins pour le reste de l’édifice. On peut toutefois constater que du côté de la rue Notre-Dame, l’église ne prend jour que par trois fenêtres et que l’arcade béante du portail fait voir une fenêtre du côté gauche de la nef, le long de la ruelle Sainte-Geneviève. Suite à des transformations ultérieures, cette muraille est aujourd’hui aveugle et celle de la rue Notre-Dame est percée de quatre fenêtres.

       Le plus grand intérêt de la façade de Jean Maillou est sa simplicité. En effet, après l’effort de construction qui, sous l’impulsion d’architectes de formation européenne avait doté la ville de ses monuments les plus prestigieux : le palais épiscopal, le château Saint-Louis et le palais de l’intendant, les maîtres-d’œuvres de la génération suivante, pour la plupart formés en Nouvelle-France, réduiront sensiblement l’envergure des projets. Si bien que naîtront des œuvres plus simples, certes, mais qui pourront être parachevées. Ainsi, au lieu de l’hypothétique façade assez fouillée de Claude Baillif, Jean Maillou conçoit une façade simple et retient les éléments à la fois les plus significatifs et les moins difficiles d’exécution : niches et encadrements du portail. En fait, il s’agit de l’adaptation au contexte local d’une architecture européenne, académique par surcroît, dont l’entreprise n’avait pas réussi à dépasser les projets et dont la mise en chantier s’était révélée fort peu praticable. Que l’on songe à l’épopée de Notre-Dame, de 1684 à 1697, où seule une partie de la façade monumentale proposée par Baillif fut construite, et l’on comprendra aisément pourquoi l’on opta pour l’exploitation rationnelle de formules plus simples (7). Il reste néanmoins que la façade de Notre-Dame-des-Victoires est, de façon générale, mieux pourvue que celle d’édifices contemporains. Il suffit de la comparer à celle de Saint-François de l’île d’Orléans (photo 33), réalisée peu après, pour se rendre compte de l’importance que l’on attachait à l’église succursale de la basse ville. Si le pignon élevé de Notre-Dame-des-Victoires trahit la manière de Baillif, le portail orné, absent ailleurs, est l’œuvre de Maillou. Les niches en façade, déjà présentes dans l’avant-projet de Baillif pour Notre-Dame, sont reprises ici, comme partout ailleurs dans l’architecture religieuse avant la Conquête. Figurant pour la première fois à Notre-Dame-des-Victoires en 1723, elles furent meublées par des statues des sculpteurs Levasseur, y figuraient, suivant les inventaires, les statues de la Vierge, de Saint-Joseph et de Saint-Jean (8).

             Assez curieusement, Jean Maillou qui, par ailleurs, favorisait l’implantation de clochers en façade, notamment sur le célèbre « plan Maillou » et dans les édifices dont il construisit la rallonge, ne semble pas avoir appliqué ses vues à l’église de la Basse-Ville. En effet, un document daté de 1740 stipule que le clocher est encore situé au-dessus du sanctuaire et non à l’avant sur le pignon de l’église (10).

       L’ensemble des documents figurés et les sources mentionnées nous permettent de présenter une reconstitution de ce que fut Notre-Dame-des-Victoires de 1724 à 1759. La vue en perspective permet mieux que toute description ou présentation de plans de considérer l’édifice dans son ensemble (fig. 11).


       La façade a donc été achevée alors que l’architecture de Québec en était à son troisième stade de développement. Après l’architecture sommaire du comptoir commercial (1608-1663) et l’architecture monumentale classique (1663-1700), on arrive, après 1700, à une architecture proprement québécoise, résultat d’un cheminement long et non sans heurts. Alors qu’on achève l’église de la Basse-Ville, la place Royale prend forme, non pas telle que l’aurait voulue Frontenac, mais plutôt comme l’expérience du milieu la commandait. Au lieu d’une façade ornée, Notre-Dame-des-Victoires est dotée d’une architecture simple, tout comme les maisons de la place abandonnent le toit mansardé et l’entrée monumentale, telle la maison Hazeur. Seul le buste de Louis XIV témoigne encore de la France royale, et encore prend-on soin de l’adosser au mur de la maison Hazeur, tant il encombre le marché (11).

Source:
Noppen, L., Notre-Dame-des-Victoires à la Place Royale de Québec

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